19 février 2012

Les Berbères des Îles Canaries

L’archipel des Canaries, composé d’îles et d’îlots éparpillés dans l’océan Atlantique, est situé à 115 km de la côte africaine, à 1000 km de la péninsule ibérique. Il comprend sept îles principales (Tenerife, Fuerteventura, Grande Canarie, Lanzarote, La Palma, Gomera, Hierro) peuplées par des Berbères sans doute depuis l’Antiquité.
Jusqu’au XIVème siècle, elles restèrent à l’écart des courants civilisateurs et commerciaux. Dans l’Antiquité et pendant le Haut Moyen Age, l’Archipel fut visité par des navigateurs phéniciens, carthaginois, arabes, gênois, portugais… L’expédition la plus célèbre est celle envoyée par Juba II, roi de Maurétanie (entre 25 avant J.-C. et 23 après J.-C). Le rapport de la mission conservé par Pline l’Ancien (Histoire naturelle, VI (36, 37) contient la description la plus précise des îles ainsi que le sens de « Canaries » : une île, dit-il, s’appelle « Canaria » à cause des chiens énormes qui s’y rencontrent. Le nom s’appliqua ensuite aux autres îles. Deux chiens figurent sur le blason des îles Canaries.
L’entrée en scène d’un étrange personnage sera le prélude de la colonisation européenne. Un gentilhomme normand au service du roi d’Espagne, Jean de Béthancourt, débarqua à Lanzarote en 1402, découvrant une population installée depuis très longtemps et vivant à l’âge de la pierre. Les « Guanches » -c’est le nom de ces insulaires- habitaient dans des grottes, ignoraient la navigation, la charrue et les métaux (par manque de gisement métallifère) ; ils avaient pour armes des javelots de bois et des haches de pierre. Jean de Béthancourt reçoit du roi de Castille le titre de « seigneur des Canaries ». Ce débarquement et les razzias continues des héritiers de ses droits féodaux aboutirent à la conquête de plusieurs îles et à l’anéantissement d’une partie de leurs habitants. Finalement Jean de Béthancourt vend l’archipel à la couronne de Castille et retourne en Normandie. Son neveu et successeur provoqua de nombreuses révoltes des insulaires, exaspérés par ses exactions. Il préféra abandonner la partie, non sans avoir vendu quelques îles à l’infant Don Henri du Portugal.
En 1430 commence une guerre acharnée entre les Espagnols et les Portugais pour la possession des îles. Elle se termine en 1479 par le traité d’Alcaçovas, qui accorde les Canaries à l’Espagne et, au Portugal, le contrôle de la région côtière de l’Afrique occidentale. La colonisation est alors entreprise de façon méthodique, malgré la farouche résistance des Guanches armés seulement de javelots et de haches rudimentaires. Ils luttèrent un siècle durant pour préserver leur liberté.
Les conquérants ont appelé « Guanches » les habitants de Ténérife, nom qui s’est étendu ensuite à tous les indigènes de l’archipel (sens de Guanches : « fils de Ténérife »). C’étaient des Berbères venus ou amenés du continent. La preuve en est fournie par la découverte récente d’inscriptions alphabétiques en caractères libyques, qui ont été rattachées aux écritures libyco-berbères sahariennes. La langue canarienne s’est éteinte depuis le début du XVIIème siècle, alors que les tifinagh actuels sont encore utilisés par les Touaregs du Sahara.
Les Guanches ignoraient tout de la navigation ; pendant de longs siècles, ils sont restés isolés dans leurs îles, incapables même de joindre l’île voisine pourtant très proche. Comment sont-ils parvenus dans l’archipel ? Plusieurs hypothèses ont été avancées. Les Carthaginois avaient l’habitude d’installer de force dans leurs colonies des Berbères originaires du Sahara ou de l’Atlas. Ces colons forcés, ignorant la navigation, ne pouvaient repartir par mer. C’est ce qui serait arrivé aux Guanches des Canaries. D’après une autre hypothèse, c’est le sénat romain qui aurait déporté des tribus sahariennes, qui s’étaient révoltées contre son autorité. On suppose aussi que des Berbères, au cours d’un voyage, auraient été assaillis par une violente tempête et que leurs navires auraient dérivé. Ils firent aux dieux le serment de ne plus s’aventurer en mer, s’ils s’en tiraient sains et saufs. Ils abordèrent aux îles Canaries, respectèrent leur engagement, comme le firent les générations suivantes.
Les Guanches construisaient des pyramides dont l’architecture fait penser aux pyramides de Saqqarah en Egypte et à certaines pyramides mayas du Mexique. Comme dans l’Egypte ancienne, ils embaumaient leurs morts.
L’archipel des Canaries peut être considéré comme le banc d’essai du colonialisme, qui devait renouveler ses crimes sur une très vaste échelle spatiale et temporelle. Décimé lors de la conquête, le peuple guanche fut la proie des marchands d’esclaves européens, il subit l’assimilation, avec perte de sa langue et de sa culture, l’émigration volontaire ou forcée en Amérique pour travailler la terre, fonder ou peupler des villes, et l’émigration de la misère.
Bibliographie
A. Gaudio, Les îles Canaries, Paris, Karthala, 1995.
J. Onrubia-Pintado, Les îles Canaries, Encyclopédie berbère, XI, pp. 1731-1753.

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