6 juin 2012


Revenons à la fin de la première guerre punique : elle se termina, nous l’avons dit, de manière désastreuse pour Carthage, qui, vaincue, accepta les dures conditions du vainqueur : perte de ses possessions en Sicile, de la Sardaigne, de la Corse, paiement d’une lourde indemnité de guerre. Epuisée par ce long conflit, la Cité dut faire face à une insurrection des mercenaires et des Libyens (Berbères), qui dura plus de trois ans (241-238 avant J.C.) C’est un jeune général, Hamilcar Barca, qui réussit à mater la révolte.
Il se rendit ensuite en Espagne et créa un Etat dans le sud du pays (l’actuelle Andalousie). La région était riche en métaux, blé, hommes et  chevaux, richesses nécessaires au relèvement de sa patrie et aux guerres qu’il mena contre les autochtones. Sa mort prématurée l’empêcha d’accomplir son  grand dessein, la revanche sur les Romains. Ce fut son fils Hannibal, élevé dans la haine de Rome, qui entreprit de le réaliser. La deuxième guerre punique sera appelée à juste titre  « la guerre d’Hannibal », tant elle sera marquée par la personnalité et les exploits d’Hannibal, fils d’Hamilcar Barca.
Au printemps de l’année 218,  il quitte Carthagène pour conduire une immense armée (90.000 fantassins, 12.000 cavaliers, 37 éléphants) vers le nord : traversée des Pyrénées, du Languedoc, du Rhône, traversée des Alpes au prix de souffrances inouïes. Quand il surgit en Gaule Cisalpine, dans la région de Turin, il n’avait plus que 20.000 fantassins, 6.000 cavaliers et 21 éléphants. Il les mena au combat, convaincu qu’une guerre-éclair ferait tomber Rome.
Entre la fin de l’année 218 et le milieu de l’année 216, le général punique remporta quatre grandes victoires (le Tessin, la Trébie, Trasimène et Cannes). La geste d’Hannibal de Carthagène à Cannes suffit à le rendre immortel. Rome refusa, avec une constance admirable, de reconnaître sa défaite ; l’union sacrée entre le Sénat et le peuple permit une mobilisation exceptionnelle. Les Romains menèrent une guerre d’usure, qui dura une quinzaine d’années, et aboutit à la défaite de Carthage (cartes de Yann Le Bohec, auteur de Histoire militaire des guerres puniques, éditions du Rocher, 2003)

La guerre se déroula dans plusieurs pays : Italie, Espagne, Sicile (où le génial savant Archimède fut tué lors de la prise de Syracuse par les Romains de Marcellus) et Afrique. Dès l’arrivée d’Hannibal en Italie, Rome ouvrit un front en Espagne pour couper les communications d’Hannibal avec l’Andalousie et le priver ainsi de renforts et d’approvisionnements -ce fut chose faite à la fin de l’année 217. Les deux généraux romains, les frères Scipions obtiennent des succès importants. Ils s’efforcent de gagner à la cause romaine le puissant Syphax, roi des numides de l’ouest (masaesyles), qui était à ce moment-là l’allié de Carthage. Le roi leur prêta une oreille favorable, car il voulait se libérer de la tutelle de Carthage.
Après la défection de Syphax, les Carthaginois se tournèrent vers Gaïa, roi d’un modeste royaume, celui des Numides de l’est (massyles) et obtinrent son alliance d’autant plus facilement qu’il était poussé par son fils Massinissa, qui débordait d’ambition et d’ardeur guerrière. Le jeune homme prouva ses talents militaires en infligeant deux défaites à Syphax, l’ami des Romains ; il rêvait d’accomplir des exploits encore plus éclatants. Ses vœux furent exaucés : Gaïa chargea son fils, alors âgé de 26 ans, de conduire des troupes en Andalousie pour renforcer les armées carthaginoises. Il séjourna en Espagne de 212 à 206.  
Il participa aux opérations qui aboutirent à la défaite et à la mort des deux généraux romains, les frères Publius et Gnaeus Scipion.  Les Romains décidèrent d’élire un chef d’envergure, capable de redresser la situation en Espagne ; le choix se porta sur Publius Cornelius Scipion, fils de Publius, neveu de Gnaeus. Le nouveau commandant allait remporter victoire sur victoire –les plus importantes étant celles de Carthagène, Baecula et  Ilipa.
Nous ne résistons pas au plaisir de rapporter un charmant épisode, qui nous repose du fracas des combats, des mêlées furieuses et des boucheries « héroïques » (comme dit Voltaire).  Nous voyons aussi en oeuvre l’habile politique de Publius Scipion, qui conquit tant de rois espagnols… et Massinissa. Après la victoire de Baecula (Bailen)
« Scipion s’empara du camp d’Hasdrubal [Barca, frère d’Hannibal], abandonna aux soldats tout le butin, à l’exception des prisonniers de condition libre. Leur nombre  s’élevait à 10.000 fantassins et 2 000 cavaliers. Il renvoya chez eux tous les Espagnols sans exiger de rançon et donna l’ordre au questeur (comptable et trésorier) de vendre les Africains (Berbères et Carthaginois). Alors qu’il s’occupait de la vente, le questeur apprit qu’un jeune homme d’une beauté remarquable et de sang royal se trouvait parmi les prisonniers ; il l’envoya à Scipion, qui lui demanda qui il était, d’où il venait, pourquoi il faisait la guerre si jeune. Le jeune homme répondit qu’il était numide et s’appelait Massiva. Orphelin de père, il avait été élevé chez son grand-père maternel, Gaïa, roi des Numides ; il était venu en Espagne avec son oncle Massinissa, qui avait récemment ramené d’Afrique un contingent de cavaliers. Son oncle lui avait interdit de se battre parce qu’il était trop jeune, mais il était parti au front à son insu, après avoir dérobé un cheval et des armes. Son cheval en tombant l’avait jeté à terre et il s’était retrouvé aux mains des Romains. Scipion lui demanda s’il voulait retourner auprès de Massinissa. « Oh oui », répondit-il en versant des larmes de joie. Alors le Romain lui offrit un anneau en or, une tunique à large bande de pourpre, un sayon espagnol, une fibule en or, un cheval tout équipé, puis le laissa repartir ; des cavaliers furent chargés de l’escorter aussi longtemps qu’il le voudrait.
Massinissa fut sensible à tant de générosité et de grandeur ; il comprit qu’il n’était pas un ennemi pour Scipion, alors qu’il avait contribué à la défaite et à la mort de son père Publius. Il lui dira sa gratitude à la première rencontre. » (rencontre de Baecula,Tite-Live, XXVII, 18-20)

Après l’écrasante victoire de Cannes (2 août 216), Hannibal entreprit de se constituer un nouvel Etat dans le sud de l’Italie, à l’image de celui d’Hamilcar en Andalousie. Il mit quatre ans pour réaliser ce dessein. Mais les armées romaines grignotèrent son domaine, le repoussant peu à peu à l’extrême pointe de la  Péninsule.
Hasdrubal Barca s’échappa du champ de bataille de Baecula en direction des Pyrénées, pour se rendre en Italie et opérer sa jonction avec l’armée d’Hannibal. Il emprunta le même itinéraire que son frère, mais fut arrêté en Italie centrale par deux armées consulaires : la bataille du Métaure se termina par le massacre de l’armée punique et la mort du général.          Décidément, le sort des armes était toujours favorable à Scipion : il remporta une autre victoire à Ilipa, provoquant la fuite d’Espagne des deux généraux puniques, Magon, frère d’Hannibal et Hasdrubal, fils de Giscon. Il lui avait suffi de trois ans pour  conquérir les possessions espagnoles de Carthage. Il allait passer à une nouvelle phase du conflit, porter la guerre en Afrique.
Après la bataille d’Ilipa, Massinissa, sentant le vent tourner, passa dans le camp des Romains. Oubliant son rôle dans la mort de son père et de son oncle, Scipion accepta avec joie l’alliance de ce  valeureux guerrier, qui lui apportait le concours de son extraordinaire cavalerie. Il se rendit à Rome pour les élections, tandis que Massinissa rejoignait l’Afrique (fin automne 206). Son père étant mort, il dut mener de rudes combats pour récupérer son royaume, usurpé par Lacumazès, un jeune neveu, et Mazétulle, qui appartenait à une branche rivale. Tous deux étaient soutenus par Syphax et Hasdrubal, fils de  Giscon, père de Sophonisbe. Après bien des péripéties,  le prince vaincu se réfugie en Tripolitaine. Dépossédé de son royaume, il perdra sa fiancée, la merveilleuse Sophonisbe, que son père donnera en mariage à Syphax, par calcul politique.
Scipion débarqua en Afrique en 204. Il établit son camp non loin d’Utique. Hasdrubal et son gendre, à la tête de deux armées considérables, prirent position à une dizaine de km de là. Ne voulant pas les affronter en rase campagne, le Romain réussit à endormir la méfiance de Syphax et incendia  les  camps en pleine nuit, détruisant les deux armées. Ce désastre fut suivi d’une défaite à la bataille des Grandes Plaines (mi avril 203). Syphax fut battu et capturé au cours d’une autre rencontre, après quoi  Massinissa partit au grand galop en direction de Cirta, la deuxième capitale du malheureux roi (l’autre étant Siga). Il se précipite vers  le palais, rencontre Sophonisbe éplorée qui se jette à ses genoux. C’est le coup de foudre. Il épouse la jeune femme séance tenante pour assurer sa protection.
Mais le général romain ne l’entend pas de cette oreille. Il réprimande Massinissa et lui demande de lui remettre Sophonisbe qui appartient à Rome au même titre que Syphax, son royaume  et ses habitants.  Le prince numide s’abandonna au désespoir, puis se résolut à envoyer le poison à la jeune femme. Celle-ci prit la coupe et la vida courageusement.
Le lendemain, sur le front des troupes, Massinissa fut le premier cité : Scipion le salua du titre de roi pour la première fois, le couvrit d’éloges exceptionnels et lui remit les insignes royaux (juin 203).
Syphax, transféré en Italie,  mourut à Tibur, non loin de Rome, avant le triomphe de Scipion (en 201), selon Tite-Live ; d’après Polybe, il figura à ce triomphe suivant avec d’autres captifs enchaînés le char du « vainqueur de l’Afrique ». 
Croyant la guerre terminée, Massinissa repartit pour finir de récupérer son royaume et occuper les Etats de Syphax... Parti en automne 203, le roi fut rappelé un an plus tard, avant d’avoir commencé la conquête du royaume de Syphax.

Sur ordre du Sénat, Hannibal et son frère Magon quittent l’Italie pour défendre leur patrie menacée dans son existence. Magon succombe à ses blessures au cours de la traversée, Hannibal débarque près d’Hadrumète (Sousse), à la fin de l’été 203.
La bataille décisive eut lieu un jour d’octobre 202, près de Zama (actuelle Jama dans la région du Kef). Avant que l’infanterie d’Hannibal ait pu enfoncer le front romain surgissent Laelius et Massinissa, qui s’étaient lancés à la poursuite de la cavalerie punique. Ils assaillent sur leurs arrières les ennemis, qui sont presque tous massacrés sur place. Scipion infligea à Hannibal une terrible défaite, grâce à la résistance de l’infanterie et à l’intervention providentielle de  la cavalerie.

Le sénat de Carthage accepta, sans les discuter, les conditions du vainqueur : les Carthaginois conservaient les villes d’Afrique et le territoire qu’ils possédaient avant leur entrée en guerre (218 av. J.-C.). Carthage restait un Etat indépendant, mais totalement désarmé. Elle devait livrer tous ses bâtiments de guerre, sauf dix, tous les prisonniers (il y en avait quatre mille), tous les transfuges (déserteurs), tous ses éléphants. Il lui était interdit de faire la guerre sans l’accord de Rome ; elle devait rendre à Massinissa tout ce qui avait appartenu à lui ou à ses ancêtres, à l’intérieur des frontières qui seraient ultérieurement délimitées ; verser en cinquante ans une indemnité de dix mille talents ; livrer cent ou cent cinquante otages, selon les sources.
Massinissa fut récompensé : Publius Scipion lui fit don de Cirta et des villes masaesyles conquises par les Romains. Le roi numide rappelé d’urgence contre Hannibal n’avait pas eu le temps de conquérir le royaume de Syphax. C’est probablement à la fin de la guerre qu’il en entreprit la conquête. La guerre contre Carthage était terminée, mais Massinissa ne déposa pas les armes. Il possédait la Massylie, s’apprêtait à occuper la Masaesylie, le royaume de Syphax et se sentait déterminé à reprendre à Carthage les territoires ayant appartenu à ses aïeux. Rien de plus facile : le traité de paix l’y autorisait et interdisait à Carthage de se défendre par les armes.
Rentré à Rome, Scipion célébra le plus splendide des triomphes (en 201 avant J.-C.).  Il porta désormais le surnom d’« Africanus », « Vainqueur de l’Afrique », qui fut conservé dans sa famille.

Précision : ces événements ont eu lieu avant l’ère chrétienne.
Le récit de la seconde guerre punique par Tite-Live existe en traduction en livre de poche (voir ci-dessous III.)
Sources :
I.                   Polybe, Histoire, livres III, VIII, 3-7, 24-37, IX, 3-11a, 21-27, X, 1-20, 32-40, XI, 1-3, 19a-19, 20-33, XIV, 1- 10, XV, 1- 19, XXIII, 12-14, XXXI, 21, trad. D. Roussel, Paris, Quarto Gallimard, 2005, 1504 p.
II.                Tite-Live Histoire romaine, livres XXI-XXX (la seconde guerre punique), Paris, Les Belles lettres. Livres XXI (1988), XXIII (2001), XXIV (2005), XXVI (1991), XXVII (1998), XXVIII (1995) : texte établi et traduit par P. Jal ; livre XXV (1992), texte établi et traduit par F. Nicolet-Croizat ; livre XXIX (1994) texte établi et traduit par P. François.
III.             Histoire romaine, livres XXI à XXX (la seconde guerre punique),  trad. A. Flobert, 2 vol., Paris, GF Flammarion, 1993-1994.

























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1 commentaire:

  1. Une biographie est nécessaire ,pour apporter plus d'informations sur ce personnage que vous ne cessez de rendre si modeste .Une bibliographie ,pour nous rappeler l'un de vos premiers livres "Oum el kheir " J'aimerais bien lire des extraits qui retracent un peu votre parcours .

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