Revenons à la fin de la
première guerre punique : elle se termina, nous l’avons dit, de manière
désastreuse pour Carthage, qui, vaincue, accepta les dures conditions du
vainqueur : perte de ses possessions en Sicile, de la Sardaigne, de la
Corse, paiement d’une lourde indemnité de guerre. Epuisée par ce long conflit,
la Cité dut faire face à une insurrection des mercenaires et des Libyens
(Berbères), qui dura plus de trois ans (241-238 avant J.C.) C’est un jeune général,
Hamilcar Barca, qui réussit à mater la révolte.
Il se rendit ensuite en
Espagne et créa un Etat dans le sud du pays (l’actuelle Andalousie). La région était
riche en métaux, blé, hommes et chevaux,
richesses nécessaires au relèvement de sa patrie et aux guerres qu’il mena
contre les autochtones. Sa mort prématurée l’empêcha d’accomplir son grand dessein, la revanche sur les Romains.
Ce fut son fils Hannibal, élevé dans la haine de Rome, qui entreprit de le
réaliser. La deuxième guerre punique sera appelée à juste titre « la guerre d’Hannibal », tant elle
sera marquée par la personnalité et les exploits d’Hannibal, fils d’Hamilcar
Barca.
Au printemps de l’année 218,
il
quitte Carthagène pour conduire une immense armée (90.000 fantassins, 12.000 cavaliers,
37 éléphants) vers le nord : traversée des Pyrénées, du Languedoc, du Rhône,
traversée des Alpes au prix de souffrances inouïes. Quand il surgit en Gaule
Cisalpine, dans la région de Turin, il n’avait plus que 20.000 fantassins,
6.000 cavaliers et 21 éléphants. Il les mena au combat, convaincu qu’une
guerre-éclair ferait tomber Rome.
Entre la fin de l’année 218
et le milieu de l’année 216, le général punique remporta quatre grandes victoires
(le Tessin, la Trébie, Trasimène et Cannes). La geste d’Hannibal de Carthagène
à Cannes suffit à le rendre immortel. Rome refusa, avec une constance admirable,
de reconnaître sa défaite ; l’union sacrée entre le Sénat et le peuple permit une
mobilisation exceptionnelle. Les Romains menèrent une guerre d’usure, qui dura
une quinzaine d’années, et aboutit à la défaite de Carthage (cartes de Yann Le
Bohec, auteur de Histoire militaire des guerres puniques, éditions du
Rocher, 2003)
La guerre se déroula
dans plusieurs pays : Italie, Espagne, Sicile (où le génial savant Archimède
fut tué lors de la prise de Syracuse par les Romains de Marcellus) et Afrique. Dès
l’arrivée d’Hannibal en Italie, Rome ouvrit un front en Espagne pour couper les
communications d’Hannibal avec l’Andalousie et le priver ainsi de renforts et
d’approvisionnements -ce fut chose faite à la fin de l’année 217. Les deux
généraux romains, les frères Scipions obtiennent des succès importants. Ils
s’efforcent de gagner à la cause romaine le puissant Syphax, roi des numides de
l’ouest (masaesyles), qui était à ce moment-là l’allié de Carthage. Le roi leur
prêta une oreille favorable, car il voulait se libérer de la tutelle de
Carthage.
Après la défection de
Syphax, les Carthaginois se tournèrent vers Gaïa, roi d’un modeste royaume,
celui des Numides de l’est (massyles) et obtinrent son alliance d’autant plus
facilement qu’il était poussé par son fils Massinissa, qui débordait d’ambition
et d’ardeur guerrière. Le jeune homme prouva ses talents militaires en
infligeant deux défaites à Syphax, l’ami des Romains ; il rêvait
d’accomplir des exploits encore plus éclatants. Ses vœux furent exaucés :
Gaïa chargea son fils, alors âgé de 26 ans, de conduire des troupes en
Andalousie pour renforcer les armées carthaginoises. Il séjourna en Espagne de
212 à 206.
Il participa aux
opérations qui aboutirent à la défaite et à la mort des deux généraux romains,
les frères Publius et Gnaeus Scipion.
Les Romains décidèrent d’élire un chef d’envergure, capable de redresser
la situation en Espagne ; le choix se porta sur Publius Cornelius Scipion,
fils de Publius, neveu de Gnaeus. Le nouveau commandant allait remporter
victoire sur victoire –les plus importantes étant celles de Carthagène, Baecula
et Ilipa.
Nous ne résistons pas au
plaisir de rapporter un charmant épisode, qui nous repose du fracas des
combats, des mêlées furieuses et des boucheries « héroïques » (comme
dit Voltaire). Nous voyons aussi en oeuvre l’habile politique de Publius
Scipion, qui conquit tant de rois espagnols… et Massinissa. Après la victoire
de Baecula (Bailen)
« Scipion s’empara
du camp d’Hasdrubal [Barca, frère d’Hannibal], abandonna aux soldats tout le
butin, à l’exception des prisonniers de condition libre. Leur nombre s’élevait à 10.000 fantassins et 2 000
cavaliers. Il renvoya chez eux tous les Espagnols sans exiger de rançon et
donna l’ordre au questeur (comptable et trésorier) de vendre les Africains (Berbères
et Carthaginois). Alors qu’il s’occupait de la vente, le questeur apprit qu’un
jeune homme d’une beauté remarquable et de sang royal se trouvait parmi les
prisonniers ; il l’envoya à Scipion, qui lui demanda qui il était, d’où il
venait, pourquoi il faisait la guerre si jeune. Le jeune homme répondit qu’il était
numide et s’appelait Massiva. Orphelin de père, il avait été élevé chez son
grand-père maternel, Gaïa, roi des Numides ; il était venu en Espagne avec
son oncle Massinissa, qui avait récemment ramené d’Afrique un contingent de
cavaliers. Son oncle lui avait interdit de se battre parce qu’il était trop jeune,
mais il était parti au front à son insu, après avoir dérobé un cheval et des
armes. Son cheval en tombant l’avait jeté à terre et il s’était retrouvé aux
mains des Romains. Scipion lui demanda s’il voulait retourner auprès de
Massinissa. « Oh oui », répondit-il en versant des larmes de joie.
Alors le Romain lui offrit un anneau en or, une tunique à large bande de
pourpre, un sayon espagnol, une fibule en or, un cheval tout équipé, puis le
laissa repartir ; des cavaliers furent chargés de l’escorter aussi
longtemps qu’il le voudrait.
Massinissa fut
sensible à tant de générosité et de grandeur ; il comprit qu’il n’était
pas un ennemi pour Scipion, alors qu’il avait contribué à la défaite et à la
mort de son père Publius. Il lui dira sa gratitude à la première rencontre. »
(rencontre de Baecula,Tite-Live, XXVII, 18-20)
Après l’écrasante
victoire de Cannes (2 août 216), Hannibal entreprit de se constituer un nouvel Etat
dans le sud de l’Italie, à l’image de celui d’Hamilcar en Andalousie. Il mit
quatre ans pour réaliser ce dessein. Mais les armées romaines grignotèrent son
domaine, le repoussant peu à peu à
l’extrême pointe de la Péninsule.
Hasdrubal Barca s’échappa
du champ de bataille de Baecula en direction des Pyrénées, pour se rendre en
Italie et opérer sa jonction avec l’armée d’Hannibal. Il emprunta le même
itinéraire que son frère, mais fut arrêté en Italie centrale par deux armées
consulaires : la bataille du Métaure se termina par le massacre de l’armée
punique et la mort du général. Décidément,
le sort des armes était toujours favorable à Scipion : il remporta une
autre victoire à Ilipa, provoquant la fuite d’Espagne des deux généraux
puniques, Magon, frère d’Hannibal et Hasdrubal, fils de Giscon. Il lui avait
suffi de trois ans pour conquérir les
possessions espagnoles de Carthage. Il allait passer à une nouvelle phase du
conflit, porter la guerre en Afrique.
Après la bataille d’Ilipa,
Massinissa, sentant le vent tourner, passa dans le camp des Romains. Oubliant
son rôle dans la mort de son père et de son oncle, Scipion accepta avec joie
l’alliance de ce valeureux guerrier, qui
lui apportait le concours de son extraordinaire cavalerie. Il se rendit à Rome pour
les élections, tandis que Massinissa rejoignait l’Afrique (fin automne 206). Son
père étant mort, il dut mener de rudes combats pour récupérer son royaume,
usurpé par Lacumazès, un jeune neveu, et Mazétulle, qui appartenait à une
branche rivale. Tous deux étaient soutenus par Syphax et Hasdrubal, fils de Giscon, père de Sophonisbe. Après bien des
péripéties, le prince vaincu se
réfugie en Tripolitaine. Dépossédé de son royaume, il perdra sa fiancée, la
merveilleuse Sophonisbe, que son père donnera en mariage à Syphax, par calcul politique.
Scipion débarqua en
Afrique en 204. Il établit son camp non loin d’Utique. Hasdrubal et son
gendre, à la tête de deux armées considérables, prirent position à une dizaine
de km de là. Ne voulant pas les affronter en rase campagne, le Romain réussit à
endormir la méfiance de Syphax et incendia les
camps en pleine nuit, détruisant les deux armées. Ce désastre fut suivi
d’une défaite à la bataille des Grandes Plaines (mi avril 203). Syphax fut battu
et capturé au cours d’une autre rencontre, après quoi Massinissa partit au grand galop en direction de
Cirta, la deuxième capitale du malheureux roi (l’autre étant Siga). Il se
précipite vers le palais, rencontre
Sophonisbe éplorée qui se jette à ses genoux. C’est le coup de foudre. Il
épouse la jeune femme séance tenante pour assurer sa protection.
Mais le général romain
ne l’entend pas de cette oreille. Il réprimande Massinissa et lui demande de
lui remettre Sophonisbe qui appartient à Rome au même titre que Syphax, son
royaume et ses habitants. Le prince numide s’abandonna au désespoir,
puis se résolut à envoyer le poison à la jeune femme. Celle-ci prit la coupe et
la vida courageusement.
Le lendemain, sur le
front des troupes, Massinissa fut le premier cité : Scipion le salua du
titre de roi pour la première fois, le couvrit d’éloges exceptionnels et lui remit
les insignes royaux (juin 203).
Syphax, transféré en Italie,
mourut à Tibur, non loin de Rome, avant
le triomphe de Scipion (en 201), selon Tite-Live ; d’après Polybe, il
figura à ce triomphe suivant avec d’autres captifs enchaînés le char du «
vainqueur de l’Afrique ».
Croyant la guerre
terminée, Massinissa repartit pour finir de récupérer son royaume et occuper
les Etats de Syphax... Parti en automne 203, le roi fut rappelé un an plus
tard, avant d’avoir commencé la conquête du royaume de Syphax.
Sur ordre du Sénat,
Hannibal et son frère Magon quittent l’Italie pour défendre leur patrie menacée
dans son existence. Magon succombe à ses blessures au cours de la
traversée, Hannibal débarque près d’Hadrumète (Sousse), à la fin de l’été 203.
La bataille décisive eut
lieu un jour d’octobre 202, près de Zama (actuelle Jama dans la région du Kef).
Avant que l’infanterie d’Hannibal ait pu enfoncer le front romain surgissent Laelius
et Massinissa, qui s’étaient lancés à la poursuite de la cavalerie punique. Ils
assaillent sur leurs arrières les ennemis, qui sont presque tous massacrés sur
place. Scipion infligea à Hannibal une terrible défaite, grâce à la résistance
de l’infanterie et à l’intervention providentielle de la cavalerie.
Le sénat de Carthage
accepta, sans les discuter, les conditions du vainqueur : les Carthaginois
conservaient les villes d’Afrique et le territoire qu’ils possédaient avant
leur entrée en guerre (218 av. J.-C.). Carthage restait un Etat indépendant,
mais totalement désarmé. Elle devait livrer tous ses bâtiments de guerre, sauf
dix, tous les prisonniers (il y en avait quatre mille), tous les transfuges
(déserteurs), tous ses éléphants. Il lui était interdit de faire la guerre sans
l’accord de Rome ; elle devait rendre à Massinissa tout ce qui avait
appartenu à lui ou à ses ancêtres, à l’intérieur des frontières qui
seraient ultérieurement délimitées ; verser en cinquante ans une indemnité
de dix mille talents ; livrer cent ou cent cinquante otages, selon les
sources.
Massinissa fut
récompensé : Publius Scipion lui
fit don de Cirta et des villes masaesyles conquises par les Romains. Le
roi numide rappelé d’urgence contre Hannibal n’avait pas eu le temps de conquérir
le royaume de Syphax. C’est probablement à la fin de la guerre qu’il en entreprit
la conquête. La guerre contre Carthage était terminée, mais Massinissa ne
déposa pas les armes. Il possédait la Massylie, s’apprêtait à occuper la
Masaesylie, le royaume de Syphax et se sentait déterminé à reprendre à Carthage
les territoires ayant appartenu à ses aïeux. Rien de plus facile : le
traité de paix l’y autorisait et interdisait à Carthage de se défendre par les
armes.
Rentré à Rome, Scipion célébra le plus splendide
des triomphes (en 201 avant J.-C.). Il porta
désormais le surnom d’« Africanus », « Vainqueur de l’Afrique »,
qui fut conservé dans sa famille.
Précision :
ces événements ont eu lieu avant l’ère chrétienne.
Le récit de la seconde guerre punique par
Tite-Live existe en traduction en livre de poche (voir ci-dessous III.)
Sources :
I.
Polybe, Histoire, livres III, VIII, 3-7, 24-37,
IX, 3-11a, 21-27, X, 1-20, 32-40, XI, 1-3, 19a-19, 20-33, XIV, 1- 10, XV, 1-
19, XXIII, 12-14, XXXI, 21, trad. D. Roussel, Paris, Quarto Gallimard, 2005,
1504 p.
II.
Tite-Live Histoire romaine, livres XXI-XXX (la
seconde guerre punique), Paris, Les Belles lettres. Livres XXI (1988), XXIII
(2001), XXIV (2005), XXVI (1991), XXVII (1998), XXVIII (1995) : texte
établi et traduit par P. Jal ; livre XXV (1992), texte établi et traduit par F.
Nicolet-Croizat ; livre XXIX (1994) texte établi et traduit par P.
François.
III.
Histoire romaine, livres XXI à XXX (la seconde
guerre punique), trad. A. Flobert, 2
vol., Paris, GF Flammarion, 1993-1994.
.
Une biographie est nécessaire ,pour apporter plus d'informations sur ce personnage que vous ne cessez de rendre si modeste .Une bibliographie ,pour nous rappeler l'un de vos premiers livres "Oum el kheir " J'aimerais bien lire des extraits qui retracent un peu votre parcours .
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