6 juin 2012

La troisième guerre punique


Siège de Carthage : le rempart de Carthage


Le siège de Carthage

 La Troisième guerre punique (149-146 av. J.C.)

 



 Rome et l’Italie sortirent épuisées de la guerre d’Hannibal, long conflit dévastateur, sans exemple dans l’Antiquité. La paix conclue, on s’attendait à ce que Rome s’accorde quelque répit. Ce ne fut pas le cas : un an plus tard, elle déclara la guerre à Philippe V de Macédoine, qui avait fait alliance avec  Hannibal en 215 et avec Antiochus III de Syrie. Ce conflit et ceux qui suivirent eurent pour ressorts l’impérialisme romain et les réflexes de peur et de méfiance hérités de la guerre.


Politique  machiavélique

La recherche de sécurité conduisit le Sénat à appliquer, dans les relations           « internationales », le principe « diviser pour régner ». Continuellement sollicité par les puissances de l’époque, il arbitrait leurs querelles en songeant aux seuls intérêts de Rome. Il laissait donc subsister les divisions et les dissensions pour les affaiblir et se ménager des possibilités d’intervention et de manœuvre. Cette politique apparaît pleinement dans ses rapports avec Carthage.
La cité punique, bien que désarmée, inquiétait encore les Romains : elle pouvait reconstituer sa puissance en Afrique et prendre sa revanche. Leurs soupçons étaient entretenus par la prospérité rapide de la ville : malgré son épuisement, la perte de son empire (Sicile, Sardaigne, Corse et Andalousie), le paiement d’une lourde indemnité de guerre, Carthage connaissait une renaissance certaine sur le plan agricole et commercial. Le Sénat avait chargé son allié Massinissa de l’affaiblir en revendiquant « tout ce qui avait appartenu à lui ou à ses ancêtres, à l’intérieur des frontières qui seraient ultérieurement délimitées » – selon le traité de 201. Carthage était désarmée, il lui était interdit de faire la guerre sans l’autorisation de Rome. Attaquée par Massinissa, elle en fut réduite à implorer l’arbitrage du Sénat.

Chronologie  des  annexions

Des historiens modernes doutent de l’existence des frontières prévues par le traité : Rome aurait fait exprès de ne pas les tracer pour que Carthage subisse les empiètements du roi sans pouvoir en apporter la preuve[1]. D’autres ont tenté de résoudre le problème de la chronologie des relations entre Massinissa et Carthage. Ils se sont heurtés au même obstacle : le désaccord des sources littéraires (Polybe, Tite-Live, Appien), qui s’avèrent inconciliables s’agissant de certains épisodes, comme les attaques menées contre les Emporia (comptoirs) de la Petite Syrte. J. Desanges propose un nouveau classement chronologique et montre que le litige essentiel entre le roi et Carthage portait sur les Emporia et leur territoire. Nous reprenons ce classement[2].
Peu après la fin de la deuxième guerre, Massinissa annexa des territoires très étendus appartenant à Carthage. Celle-ci porte l’affaire devant le Sénat romain. En 193 au plus tard, trois commissaires, dont Scipion l’Africain, se rendent en Afrique pour une mission d’arbitrage. L’affaire est laissée en suspens. Un traité aurait été ensuite conclu entre Carthage et le roi numide, établissant une longue période de paix, selon Polybe, estimée à cinquante ans par Appien[3].

Attaques  contre  les  Emporia

Massinissa convoitait depuis longtemps les Emporia (villes de la Petite Syrte et par extension Leptis Magna, l’actuelle Lebda, en Tripolitaine), non seulement pour leur « richesse fondée sur l’agriculture et le commerce mais aussi pour [leur] situation à la charnière du monde punique et du monde hellénistique »[4].
C’est en 165 qu’il ouvre les hostilités pour annexer ces cités et leur territoire. En 162-161, il ne put s’emparer des villes mais conquit le plat pays. Carthage en appelle à l’arbitrage de Rome. Massinissa dénie à la victime tout droit sur ces territoires. Or, peu d’années auparavant, alors qu’il poursuivait un rebelle nommé Aphter, il avait demandé aux Carthaginois l’autorisation de traverser les Emporia. Ce faisant, il reconnaissait que la région leur appartenait. Le Sénat ne tint pas compte de cet argument et donna tort à Carthage.
En définitive, celle-ci perdit le pays, les villes et dut verser cinq cents talents, correspondant aux revenus perçus depuis le début du conflit[5].

« Delenda Carthago ! » « Il faut détruire Carthage ! »

Dès la fin de l’année 153 ou en 152, Massinissa met la main sur les Grandes Plaines (moyenne vallée de la Medjerda dans la région de Bulla Regia), l’un des principaux greniers à blé de Carthage et sur les cinquante villes du pays de Tusca (région de Mactar). Une fois de plus, les Carthaginois portèrent l’affaire devant le Sénat romain. Celui-ci envoya une ambassade conduite par Caton l’Ancien, âgé de quatre-vingt-un ans, ennemi acharné de Carthage. Les Romains découvrent avec inquiétude la prospérité de la ville et des campagnes environnantes. Ils découvrent aussi, selon Plutarque, que la cité, remplie d’armes et de matériel militaire, se prépare à la guerre. Ils se retirent sans avoir tranché[6].
À son retour, Caton ne cesse de répéter au Sénat la fameuse formule qui concluait toutes ses prises de paroles, quelle que fût la question débattue : « Je suis par ailleurs d’avis qu’il faut détruire Carthage ». Le sénateur Scipion Nasica, gendre de Scipion l’Africain, s’y opposait régulièrement. Mais, en 151, les partisans de la guerre préventive l’emportent. Il leur manquait un prétexte pour déclarer la guerre.

CASUS  BELLI  ET  DECLARATION  DE  GUERRE


À Carthage, les démocrates avaient pris le pouvoir vers 155 ; partisans de la guerre contre Rome et Massinissa, ils avaient doté leur cité d’un port de guerre et d’un important arsenal militaire, ce qui était contraire au traité de 201. Leur chef Hamilcar le Samnite avait pour adjoints Hasdrubal le Boétharque (commandant des troupes auxiliaires) et Carthalon. Il existait deux autres partis, le parti « conservateur », dirigé par Hannon le Rab, qui prônait l’entente avec Rome ; le parti pro-numide, mené par Hannibal l’Étourneau, disposé à s’entendre avec Massinissa.[7]
À la fin de l’année 151 ou en 150, les dirigeants démocrates expulsèrent les chefs du parti pro-numide, qui se réfugièrent auprès de Massinissa et le poussèrent à la guerre. Il y était pleinement disposé. Sur le moment, il se contenta d’envoyer ses fils Micipsa et Gulussa pour obtenir le rappel des chefs exilés. À leur vue, on ferma les portes de la ville, mais, plus grave encore, sur le chemin du retour, Gulussa fut attaqué par Hamilcar le Samnite et perdit quelques hommes de son escorte. Alors Massinissa vint assiéger la ville d’Oroscopa. Une armée de 25 000 ou 50 000 hommes, on ne sait au juste, commandée par Hasdrubal le Boétharque se mit en campagne pour défendre la ville. À l’approche des Carthaginois, deux généraux de Massinissa, Hagasis et Soubas, en désaccord avec ses fils, les rejoignirent avec  6 000 cavaliers.

Bataille  d’Oroscopa

« À l’aube, écrit Appien admiratif, il [le roi] disposa en personne ses troupes : bien qu’il fût âgé de quatre-vingt-huit ans, c’était encore un rude cavalier qui montait à cru, selon l’usage numide, et s’acquittait de ses fonctions de chef d’armée et de combattant »[8]. La bataille se déroula toute la journée sous les yeux d’un officier romain, Scipion Émilien, petit-fils adoptif de Scipion l’Africain, qui s’était placé sur une hauteur pour jouir du spectacle. Il était venu d’Espagne pour demander, au nom de son commandant, des éléphants à Massinissa ; celui-ci, trop occupé, avait chargé ses fils de le recevoir.
Le combat dura jusqu’à la tombée du soir, faisant de nombreux morts dans les deux camps. C’est, semble-t-il, Massinissa qui l’emporta. Le lendemain, Scipion Émilien retrouva le vieux souverain devant sa tente, prenant un croûton de pain pour tout repas[9]. Ils se témoignèrent la plus vive affection. Les pourparlers s’engagent en présence du Romain : les Carthaginois se disent prêts à céder les Emporia (J. Desanges a établi le roi s’en était déjà emparé ; les sources ne concordent pas sur ce point) payer 1 000 talents d’argent mais refusent catégoriquement de livrer les transfuges, les 6 000 Numides qui avaient déserté avec leurs chefs… Après avoir obtenu les éléphants, Scipion Émilien s’en retourna en Espagne.
Renonçant à un nouveau combat, Massinissa entoure d’un fossé la colline occupée par l’ennemi pour lui couper l’arrivée des vivres. Eprouvés par la chaleur de l’été, la faim, les maladies, l’odeur des cadavres en décomposition -qu’ils ne pouvaient ni évacuer, ni enterrer, ni brûler-, les Carthaginois acceptent les conditions posées par Massinissa : livrer les transfuges, payer une indemnité de 5 000 talents d’argent et rappeler les exilés. Obligés de sortir du camp par une seule porte, les vaincus passèrent un à un, vêtus d’une simple tunique, au milieu de leurs ennemis. Pour se venger de l’agression qui avait failli lui coûter la vie, Gulussa les laissa s’éloigner, puis lança des cavaliers sur ces hommes désarmés et trop épuisés pour fuir. Une bonne partie fut massacrée…

Une  aubaine  pour  le  Sénat

En faisant la guerre à Massinissa sans l’autorisation de Rome, Carthage offrit au Sénat le prétexte tant attendu : il ne déclara pas la guerre mais lança un ordre de mobilisation dans toute l’Italie, sans révéler ses intentions. Carthage comprit qu’elle était visée. Pour désarmer Rome et Massinissa, elle condamna à mort les « fauteurs de guerre », dont Carthalon et Hasdrubal le Boétharque. Ce dernier réussit à s’enfuir – grâce à des complicités, sans doute – et tint la campagne avec 20 000 soldats, menaçant sa cité. Mais cette mesure n’apaisa pas les Romains.
La ville d’Utique, fondation phénicienne plus ancienne que Carthage, subissait  la concurrence commerciale de cette dernière, ce qui explique sa haine et son hostilité. Prévoyant la défaite de sa rivale, elle n’hésita pas à la trahir et fit sa soumission aux Romains. Le Sénat romain déclara la guerre, les deux consuls de l’année 149, Manius Manilius et Marcius Censorinus, arrivent en Sicile, lieu de rassemblement d’un corps expéditionnaire de 80 000 hommes et de 50 vaisseaux. Cette nouvelle répand la panique à Carthage. Les partisans de la paix à tout prix prirent le pouvoir. Prêts à toutes les concessions, ils envoient à Rome une ambassade pour faire acte d’entière soumission.  

Soumission  aux  ordres

Le Sénat leur demande alors la livraison de 300 otages, pris parmi les fils des familles dirigeantes et ajoute qu’ils devront obéir aux ordres des consuls. Quels ordres ? On ne le leur dit pas. Accompagnés de leur famille et de leurs amis, les otages sont remis aux Romains, au milieu de scènes déchirantes.    
Malgré cela, les consuls refusent de dire aux Carthaginois les ordres qu’ils doivent exécuter : on vous informera à Utique, répondent-ils. Ils s’embarquent ensuite à destination de l’Afrique. À leur arrivée, les Carthaginois envoient des ambassadeurs s’informer : on leur répond que Carthage doit livrer ses armes et ses vaisseaux. L’ambassade déclare que ce sera chose faite. Mais comment se défendre contre Hasdrubal qui, condamné à mort, menaçait la cité avec ses      20 000 hommes ? Les Romains promirent d’assurer la sécurité des Carthaginois. Ils obtinrent encore satisfaction : un long train de chariots transporta de Carthage à Utique deux cent mille panoplies complètes et quelque deux mille machines de jet, catapultes et balistes.

Évacuer  le  site  de  Carthage    

Après quoi, les consuls demandèrent l’envoi de quelques sénateurs pour leur notifier la décision ultime, tenue secrète jusqu’ici : ce furent trente des principaux personnages de la cité qui se présentèrent. Ils apprirent enfin quelle était la volonté de Rome : les Carthaginois demeuraient libres de vivre selon leurs lois mais devaient évacuer leur cité, que le Sénat romain avait décidé de détruire ; ils iraient s’établir là où ils voudraient, à 15 km au moins de la mer. À ces paroles, les ambassadeurs manifestent violemment leur fureur et leur désespoir. « Un tel diktat, dit S. Lancel, équivalait à un arrêt de mort. Il était sans exemple dans l’Antiquité qu’une cité ait pu politiquement survivre à l’éradication de ce qui la constituait sur le plan du sacré : à la destruction de ses temples et de ses nécropoles, à la déportation de ses cultes, coup plus sûrement mortel que le déplacement de sa population.[10] »
   En apprenant que sa cité devait être détruite, le peuple fut pris de folie furieuse : il mit à mort les sénateurs qui avaient accepté les exigences de Rome, les ambassadeurs, « messagers de malheur » (quelques-uns s’étaient enfuis en cours de route)), et les marchands italiens présents à Carthage.

« Une guerre  sans  gloire  contre  une  cité  désarmée »

On courut fermer les portes de la ville, comme si l’ennemi arrivait. Le Sénat de Carthage déclara la guerre à Rome ; le parti de la guerre revint au pouvoir et organisa la résistance. Hasdrubal, fils d’une fille de Massinissa, fut chargé de la défense de la ville. Hasdrubal le Boétharque fut amnistié et reçut le commandement de l’armée en campagne. Il était secondé par Phaméas, audacieux commandant de cavalerie, qui devait mener la vie dure à l’ennemi. Fait exceptionnel, on recourut aux esclaves, pourtant jugés indignes de se battre ; pour pouvoir les enrôler, on leur accorda la liberté.
« Il [le parti de la guerre] décréta la mobilisation générale, de l’économie et des hommes.[11] » Le peuple tout entier était prêt à lutter avec l’énergie du désespoir. On transforma en ateliers la totalité des enclos publics et des lieux saints ainsi que tout autre endroit spacieux. Hommes et femmes travaillaient ensemble de jour comme de nuit, par équipes, suivant un horaire fixé : ils fabriquaient chaque jour 100 boucliers, 300 épées, 500 javelots, 1 000 traits pour les catapultes. Les femmes donnèrent leurs cheveux qui servirent à fabriquer des cordes pour les machines[12] et leurs bijoux en or pour accroître les finances de l’État.
Les deux consuls arrivèrent sans se hâter, ils s’attendaient à pénétrer facilement dans une ville désarmée, morte peut-être si les habitants s’étaient tous suicidés. Ils ne tardèrent pas à déchanter. Ils tentent un premier assaut, qui est repoussé ; d’autres attaques n’eurent pas plus de succès. Ils se préparèrent à un blocus difficile, seul moyen de s’emparer de la Cité.
Les défenses de Carthage étaient formidables : l’ensemble formé par la ville, la banlieue résidentielle et les faubourgs semi-ruraux environnants était enfermé dans une enceinte fortifiée, qui s’étendait sur 32 à 33 km. La presqu’île au nord et à l’est était protégée par un mur simple mais la partie de l’enceinte qui coupait l’isthme était constituée par une triple ligne de défenses, un fossé, une palissade et un haut mur à tours, épais de 8,80 m. Ce mur comportait des aménagements impressionnants : des étables pour 300 éléphants, des écuries pour 4 000 chevaux, des magasins de fourrage et d’orge, des casernes pour 20 000 fantassins et 4 000 cavaliers (voir carte de Y. Le Bohec, « Le rempart de Carthage »)  
À l’exemple d’Utique, de grandes cités maritimes firent défection : Hadrumète (Sousse), Leptiminus (Lemta), Thapsus (Ras Dimass), Acholla (Henchir Botria). Celles qui restaient fidèles, Hippo Diarrhytus (Bizerte), Aspis ou Clupéa (Kelibia) et Néapolis (Nabeul), protégeaient Carthage au nord-ouest et au sud-est (voir carte de Y. Le Bohec, « Les cités puniques d’Afrique »)

Déception  de  Massinissa

Massinissa était très mécontent de ses amis romains, qui, contrairement à leurs habitudes, lui avaient caché leurs intentions. Selon des historiens modernes, il était sur le point de réaliser son grand rêve : faire de Carthage la capitale d’un vaste royaume couvrant presque tout le Maghreb et voilà que Rome s’apprête à le priver du fruit de tant d’efforts. Le Sénat était hostile aux ambitions du roi, qui risquait de faire de son royaume une nouvelle puissance, dangereuse pour Rome. Il avait décidé de couper l’herbe sous les pieds de son « ami et allié » africain, en détruisant la Cité et en annexant le reste de son territoire. Hypothèse plausible mais qui n’explique pas à elle seule l’anéantissement de Carthage - d’autres motifs ont pu jouer, économiques, politiques, psychologiques -, etc.[13] Elle a soulevé plusieurs objections : le roi était trop âgé pour achever son projet (mais ses fils l’auraient poursuivi…) ; Rome était trop puissante pour craindre Massinissa, elle l’aurait sans peine remis à sa place.
Quoi qu’il en soit, le vieux roi était très mal disposé et le fit bien voir. Invité par les consuls à fournir une aide militaire, il leur répondit : « Je l’enverrai quand j’estimerai que vous en avez besoin ». Peu après, il leur fit demander s’ils avaient besoin de quelque chose ; choqués par son arrogance et commençant à se méfier de lui, ils lui dirent : « Nous vous le ferons savoir quand nous en aurons besoin » (Appien).
Les assiégés repoussaient les assauts, l’armée d’Hasdrubal basée à Néphéris tint bon ; les cavaliers de Phaméas se tenaient en embuscade et fondaient sur les ennemis à l’improviste. Tout au long de cette campagne, où les consuls ne furent pas à la hauteur, un tribun militaire, Scipion Émilien ne cessa de se distinguer par ses exploits : il était l’homme providentiel qui intervenait à point nommé pour tirer les Romains d’une situation désespérée. Il réussit à obtenir le ralliement de Phaméas, qui lui amena  2 200 de ses cavaliers.

Gulussa  au  siège  de  Carthage

À la mort de Massinissa (début de l’année 148 av. J.-C.), Scipion Émilien régla sa succession, partageant les fonctions royales entre ses fils légitimes, l’administration à Micipsa, l’aîné, l’armée à Gulussa et la justice à Mastanabal, le plus jeune. Puis, il ramena des troupes numides commandées par Gulussa. Celui-ci se révéla un allié précieux, contrairement à ses frères, qui se contentèrent de promettre armes et argent et d’observer la tournure des événements. Sa première tâche fut de mettre fin aux embuscades de Phaméas, que redoutaient tant les Romains. Il escorta Scipion qui s’était chargé de procurer des vivres au consul Manilius lors de sa deuxième expédition ratée contre Néphéris.
Les nouveaux consuls, Calpurnius Pison et Hostilius Mancinus, arrivèrent au début du printemps 148. Ils ne tentèrent rien contre Carthage, ils s’attaquèrent aux cités et aux Libyens restés fidèles afin de priver la métropole punique de ressources en hommes et en vivres. Ils échouent devant Kelibia et Bizerte. Nabeul se rendit à Calpurnius Pison, qui la livra au pillage, malgré les assurances données aux habitants. Les consuls sortirent de charge sans avoir obtenu d’autre succès. L’année 148 fut marquée par l’inertie des Romains et l’amélioration de la situation des Carthaginois. C’est ce qui explique sans doute l’attentisme de Micipsa et de Mastanabal, ainsi que la défection de Bithyas, un chef numide qui abandonna Gulussa pour passer aux Carthaginois avec 800 cavaliers.
L’entente ne régnait pas au sommet de l’État. Le parti pro-numide et le parti des démocrates se livraient une lutte sourde, qui eut un dénouement tragique. Hasdrubal, petit-fils de Massinissa, commandant militaire dans la ville, fut accusé en plein Sénat par l’autre Hasdrubal (le Boétharque) de vouloir livrer Carthage à son parent Gulussa. Les sénateurs le mirent à mort en l’assommant avec des morceaux de bancs. Après quoi, le Boétharque assuma le commandement suprême.  

SCIPION ÉMILIEN  

Après son élection au consulat, Scipion revint en Afrique au printemps 147, accompagné de Caius Lælius, son lieutenant et ami, fils de Caius Lælius, lieutenant et ami de Scipion L’Africain, du philosophe Panaetius de Rhodes. Il fut rejoint par le Grec Polybe, son ancien précepteur, spécialiste en poliorcétique (art des sièges) et l’auteur d’Histoire, souvent citée dans ces lignes.

 Scipion réussit à prendre pied dans Mégara, quartier résidentiel de Carthage mais renonça par prudence à s’y maintenir. Le lendemain, furieux de cette incursion et, à l’instigation des démocrates extrémistes, Hasdrubal fit supplicier sur le rempart tous les prisonniers romains, à la vue de leurs camarades impuissants. Des sénateurs manifestèrent leur désapprobation : il en fit arrêter et exécuter quelques-uns.

Hasdrubal avait réussi à créer l’irréparable : la guerre sera menée jusqu’à la quasi-extermination des Carthaginois. Aux atrocités subies par les prisonniers romains répondront les horreurs subies par les assiégés, au cours de la bataille urbaine. Un siècle auparavant, dans cette même région, l’armée d’Hamilcar et les mercenaires s’étaient livré une guerre aussi « inexpiable ».

Blocus  de  Carthage

Scipion décida de réduire les habitants par la faim. Il fit construire sur l’isthme une fortification qui ferma la voie terrestre. L’acheminement des vivres par cette route cessa complètement ; le Numide Bithyas, commandant de la cavalerie punique, s’efforça de ravitailler la ville par bateau, au prix de mille difficultés, de manière sporadique et insuffisante. La population de Carthage, grossie par l’afflux des réfugiés, souffrit de la faim, les civils beaucoup plus que les soldats. Pour empêcher l’arrivée de vivres par la mer, Scipion fit lancer une digue qui barra l’accès au port. Les assiégés luttèrent avec acharnement dans cette zone : ils réussirent à creuser un chenal débouchant sur la pleine mer et à construire une flotte de guerre. Hommes, femmes et enfants travaillaient nuit et jour, dans le plus grand secret. L’apparition inattendue de la flotte punique prit l’ennemi de court mais, après deux batailles, les Carthaginois subirent une sévère défaite. Poussant son avantage, Scipion prend pied sur le terre-plein situé près de l’entrée des ports et y installa des machines de siège. Mais au cours de la nuit, des Carthaginois se glissent de la ville et pénètrent dans la mer. Ils étaient nus et portaient des torches non allumées. Les uns traversent à la nage, les autres en marchant en eau peu profonde. Ils atteignent le terre-plein et mettent le feu aux pièces d’artillerie. C’est alors que l’ennemi les aperçoit et les crible de coups. Ces hommes qui souffraient de la faim, couverts de blessures comme des fauves, loin de lâcher pied, s’acharnent à incendier les machines tandis que les Romains, épouvantés, prennent la fuite (automne de l’année 147). L’ennemi reprit cependant la position et s’y établit solidement dans l’attente de l’assaut final.
 Le commandant des forces puniques, Hasdrubal, soucieux d’assurer son salut et celui des siens, s’adressa au roi Gulussa, qu’il pria d’être son émissaire auprès de Scipion. Ce dernier refusa d’épargner la ville comme il le lui demandait, mais lui garantit la vie sauve pour lui-même et pour les siens et la libre disposition d’une partie de ses biens. À cette nouvelle, se drapant dans sa dignité, Hasdrubal refusa avec indignation[14].
La fin de Carthage approchait : beaucoup d’habitants succombaient à la famine ou aux blessures, beaucoup se livraient à l’ennemi. Durant l’hiver, le consul, aidé de Lælius et de Gulussa, parvint à réduire les places et les troupes dans l’arrière-pays de Carthage.   

L’assaut  final                                 

Parvenu au terme de son consulat, Scipion garda son commandement en tant que proconsul. Au printemps 146, il décide de lancer l’assaut final. Les légionnaires partent du terre-plein de l’avant-port, puis occupent la place principale de la ville, l’Agora. Le jour suivant, ils reprennent l’offensive, pillent le temple du dieu sémitique Reshef (assimilé au dieu Apollon), en détachant, à la pointe de l’épée, les plaques d’or qui garnissaient le tabernacle.
Des dizaines de milliers d’habitants s’étaient réfugiés dans la citadelle de Byrsa, qui s’élevait au sommet de la colline. Pour y parvenir, les Romains progressent le long de trois larges avenues bordées d’immeubles à six étages mais ils sont criblés par toutes sortes de projectiles. Il leur fallut occuper les maisons les unes après les autres, monter jusqu’aux terrasses où les assiégés et leurs familles s’étaient réfugiés, puis passer sur les terrasses de l’immeuble voisin. On se battait sur les toits, on se battait dans les rues, où les Carthaginois, exténués par la fatigue et la faim, luttaient contre les légionnaires qui, eux, étaient relevés par des troupes fraîches. Les uns étaient tués dans les corps-à-corps, les autres, précipités encore vivants des toits, s’écrasaient sur le sol ou venaient s’embrocher sur la pointe des armes. Mais les assiégés refusent de se rendre. Alors, soucieux de limiter ses pertes, Scipion décide de livrer le quartier aux flammes. On assiste alors à d’autres scènes d’horreur : les immeubles incendiés s’écroulent avec leurs occupants, les uns déjà morts, les autres couverts de blessures ou à demi brûlés.
Viennent ensuite les nettoyeurs qui, avec des crocs, traînent indifféremment cadavres et survivants avec les débris des maisons, pour les jeter dans des trous. Les chevaux passant au galop écrasaient les têtes des vivants et des morts… La bataille dura six jours et six nuits.

Carthage en flammes

Le septième jour, 50 000 personnes sortent de la citadelle pour se rendre à Scipion, qui leur avait promis la vie sauve ; il tint parole : elles furent par la suite vendues comme esclaves. La citadelle de Byrsa est prise, reste le temple d’Eschmoun (dieu guérisseur) où se réfugient le général punique Hasdrubal et les siens, avec des soldats et un millier de transfuges. La lutte se poursuit, tout aussi acharnée. Comme ils n’attendaient aucune pitié du vainqueur – ceux qui furent capturés ainsi que les esclaves fugitifs furent jetés aux bêtes, au cours des jeux donnés par Scipion en l’honneur de sa victoire –, les déserteurs montèrent sur le toit-terrasse du temple pour en finir. C’est alors qu’Hasdrubal se glisse du temple pour commettre la pire des trahisons. Tenant des rameaux de suppliant, il rejoignit Scipion et se prosterna devant lui : le Romain lui accorda la vie sauve, le fit asseoir à ses pieds, à la vue des transfuges ; ceux-ci demandent aux assaillants de suspendre un peu leurs attaques ; dans le silence revenu, ils déversèrent sur Hasdrubal les insultes qu’ils avaient sur le cœur, puis mirent le feu au temple et se jetèrent dans les flammes. Soudain la femme d’Hasdrubal, revêtue de ses plus beaux atours, se dressa sur le haut mur du temple, avec ses deux fils, face à Scipion. Elle s’adresse à son époux « traître à sa patrie, ses sanctuaires, aux siens » et s’en remet du soin de la vengeance aux dieux et à Scipion, son vainqueur. Puis elle précipita ses enfants dans les flammes et s’y jeta elle-même. L’incendie qui ravagea la cité martyre dura dix jours encore. « Carthage entrait dans sa nuit et le silence se fit sur les ruines de ce qui avait été une des plus belles villes du monde antique. »[15]




[1] P.-G. Walsh, «Massinissa»…p. 156 et Ernst Badian, Foreign clientelae…, p. 126, entre autres.
[2] J. Desanges, « Massinissa et Carthage entre les deuxième et troisième guerres puniques : un problème de chronologie », Actes du IIIème congrès international des études phéniciennes et puniques, Tunis, 11-16 nov. 1991, vol. I, Tunis, 1995, pp. 352-358.
[3] Polybe, XXXI, 21, 3 ; Tite-Live, XXXIV, 62 ; Appien, VIII, LXVII, 303 ; Zonaras, IX, 18, 12.
[4] J. Desanges, Ibid., p. 356.
[5] Polybe, XXXI, 21,1-8.
[6] Tite-Live, abrégé livre XLVIII ; Appien, VIII, 67-70 ; Plutarque, Caton l’Ancien, 26.
[7] La troisième guerre punique, Polybe, XXXVI, 1-8, 16 et XXXVIII, 7-8, 19-21 ; Appien, VIII (Libykè, Le livre africain) LXVII, 301 à CXXXV, 643 ; Diodore de Sicile, XXXII ; Tite-Live, abrégés livres XLIX-LI. S. Gsell, tome III, pp. 323-407 ; S. Lancel, Carthage, pp. 429-446 ; Y. Le Bohec, Histoire militaire…, pp. 275-315.
[8] Appien, VIII, LXXI, 323.
[9] Polybe, XXXVI, 16, 12.
[10] S. Lancel, Carthage, p. 432-433.
[11] Y. Le Bohec, Histoire militaire…, p. 296.
[12] Appien, Livre VIII, XCIII, 441.
[13] Y. Le Bohec, Histoire militaire…, pp. 276-283.
[14] Polybe, XXXVIII, II, 7-8.
[15] S. Lancel, Carthage, p. 446.

Syphax et Massinissa entre Rome et Carthage






Revenons à la fin de la première guerre punique : elle se termina, nous l’avons dit, de manière désastreuse pour Carthage, qui, vaincue, accepta les dures conditions du vainqueur : perte de ses possessions en Sicile, de la Sardaigne, de la Corse, paiement d’une lourde indemnité de guerre. Epuisée par ce long conflit, la Cité dut faire face à une insurrection des mercenaires et des Libyens (Berbères), qui dura plus de trois ans (241-238 avant J.C.) C’est un jeune général, Hamilcar Barca, qui réussit à mater la révolte.
Il se rendit ensuite en Espagne et créa un Etat dans le sud du pays (l’actuelle Andalousie). La région était riche en métaux, blé, hommes et  chevaux, richesses nécessaires au relèvement de sa patrie et aux guerres qu’il mena contre les autochtones. Sa mort prématurée l’empêcha d’accomplir son  grand dessein, la revanche sur les Romains. Ce fut son fils Hannibal, élevé dans la haine de Rome, qui entreprit de le réaliser. La deuxième guerre punique sera appelée à juste titre  « la guerre d’Hannibal », tant elle sera marquée par la personnalité et les exploits d’Hannibal, fils d’Hamilcar Barca.
Au printemps de l’année 218,  il quitte Carthagène pour conduire une immense armée (90.000 fantassins, 12.000 cavaliers, 37 éléphants) vers le nord : traversée des Pyrénées, du Languedoc, du Rhône, traversée des Alpes au prix de souffrances inouïes. Quand il surgit en Gaule Cisalpine, dans la région de Turin, il n’avait plus que 20.000 fantassins, 6.000 cavaliers et 21 éléphants. Il les mena au combat, convaincu qu’une guerre-éclair ferait tomber Rome.
Entre la fin de l’année 218 et le milieu de l’année 216, le général punique remporta quatre grandes victoires (le Tessin, la Trébie, Trasimène et Cannes). La geste d’Hannibal de Carthagène à Cannes suffit à le rendre immortel. Rome refusa, avec une constance admirable, de reconnaître sa défaite ; l’union sacrée entre le Sénat et le peuple permit une mobilisation exceptionnelle. Les Romains menèrent une guerre d’usure, qui dura une quinzaine d’années, et aboutit à la défaite de Carthage (cartes de Yann Le Bohec, auteur de Histoire militaire des guerres puniques, éditions du Rocher, 2003)

La guerre se déroula dans plusieurs pays : Italie, Espagne, Sicile (où le génial savant Archimède fut tué lors de la prise de Syracuse par les Romains de Marcellus) et Afrique. Dès l’arrivée d’Hannibal en Italie, Rome ouvrit un front en Espagne pour couper les communications d’Hannibal avec l’Andalousie et le priver ainsi de renforts et d’approvisionnements -ce fut chose faite à la fin de l’année 217. Les deux généraux romains, les frères Scipions obtiennent des succès importants. Ils s’efforcent de gagner à la cause romaine le puissant Syphax, roi des numides de l’ouest (masaesyles), qui était à ce moment-là l’allié de Carthage. Le roi leur prêta une oreille favorable, car il voulait se libérer de la tutelle de Carthage.
Après la défection de Syphax, les Carthaginois se tournèrent vers Gaïa, roi d’un modeste royaume, celui des Numides de l’est (massyles) et obtinrent son alliance d’autant plus facilement qu’il était poussé par son fils Massinissa, qui débordait d’ambition et d’ardeur guerrière. Le jeune homme prouva ses talents militaires en infligeant deux défaites à Syphax, l’ami des Romains ; il rêvait d’accomplir des exploits encore plus éclatants. Ses vœux furent exaucés : Gaïa chargea son fils, alors âgé de 26 ans, de conduire des troupes en Andalousie pour renforcer les armées carthaginoises. Il séjourna en Espagne de 212 à 206.  
Il participa aux opérations qui aboutirent à la défaite et à la mort des deux généraux romains, les frères Publius et Gnaeus Scipion.  Les Romains décidèrent d’élire un chef d’envergure, capable de redresser la situation en Espagne ; le choix se porta sur Publius Cornelius Scipion, fils de Publius, neveu de Gnaeus. Le nouveau commandant allait remporter victoire sur victoire –les plus importantes étant celles de Carthagène, Baecula et  Ilipa.
Nous ne résistons pas au plaisir de rapporter un charmant épisode, qui nous repose du fracas des combats, des mêlées furieuses et des boucheries « héroïques » (comme dit Voltaire).  Nous voyons aussi en oeuvre l’habile politique de Publius Scipion, qui conquit tant de rois espagnols… et Massinissa. Après la victoire de Baecula (Bailen)
« Scipion s’empara du camp d’Hasdrubal [Barca, frère d’Hannibal], abandonna aux soldats tout le butin, à l’exception des prisonniers de condition libre. Leur nombre  s’élevait à 10.000 fantassins et 2 000 cavaliers. Il renvoya chez eux tous les Espagnols sans exiger de rançon et donna l’ordre au questeur (comptable et trésorier) de vendre les Africains (Berbères et Carthaginois). Alors qu’il s’occupait de la vente, le questeur apprit qu’un jeune homme d’une beauté remarquable et de sang royal se trouvait parmi les prisonniers ; il l’envoya à Scipion, qui lui demanda qui il était, d’où il venait, pourquoi il faisait la guerre si jeune. Le jeune homme répondit qu’il était numide et s’appelait Massiva. Orphelin de père, il avait été élevé chez son grand-père maternel, Gaïa, roi des Numides ; il était venu en Espagne avec son oncle Massinissa, qui avait récemment ramené d’Afrique un contingent de cavaliers. Son oncle lui avait interdit de se battre parce qu’il était trop jeune, mais il était parti au front à son insu, après avoir dérobé un cheval et des armes. Son cheval en tombant l’avait jeté à terre et il s’était retrouvé aux mains des Romains. Scipion lui demanda s’il voulait retourner auprès de Massinissa. « Oh oui », répondit-il en versant des larmes de joie. Alors le Romain lui offrit un anneau en or, une tunique à large bande de pourpre, un sayon espagnol, une fibule en or, un cheval tout équipé, puis le laissa repartir ; des cavaliers furent chargés de l’escorter aussi longtemps qu’il le voudrait.
Massinissa fut sensible à tant de générosité et de grandeur ; il comprit qu’il n’était pas un ennemi pour Scipion, alors qu’il avait contribué à la défaite et à la mort de son père Publius. Il lui dira sa gratitude à la première rencontre. » (rencontre de Baecula,Tite-Live, XXVII, 18-20)

Après l’écrasante victoire de Cannes (2 août 216), Hannibal entreprit de se constituer un nouvel Etat dans le sud de l’Italie, à l’image de celui d’Hamilcar en Andalousie. Il mit quatre ans pour réaliser ce dessein. Mais les armées romaines grignotèrent son domaine, le repoussant peu à peu à l’extrême pointe de la  Péninsule.
Hasdrubal Barca s’échappa du champ de bataille de Baecula en direction des Pyrénées, pour se rendre en Italie et opérer sa jonction avec l’armée d’Hannibal. Il emprunta le même itinéraire que son frère, mais fut arrêté en Italie centrale par deux armées consulaires : la bataille du Métaure se termina par le massacre de l’armée punique et la mort du général.          Décidément, le sort des armes était toujours favorable à Scipion : il remporta une autre victoire à Ilipa, provoquant la fuite d’Espagne des deux généraux puniques, Magon, frère d’Hannibal et Hasdrubal, fils de Giscon. Il lui avait suffi de trois ans pour  conquérir les possessions espagnoles de Carthage. Il allait passer à une nouvelle phase du conflit, porter la guerre en Afrique.
Après la bataille d’Ilipa, Massinissa, sentant le vent tourner, passa dans le camp des Romains. Oubliant son rôle dans la mort de son père et de son oncle, Scipion accepta avec joie l’alliance de ce  valeureux guerrier, qui lui apportait le concours de son extraordinaire cavalerie. Il se rendit à Rome pour les élections, tandis que Massinissa rejoignait l’Afrique (fin automne 206). Son père étant mort, il dut mener de rudes combats pour récupérer son royaume, usurpé par Lacumazès, un jeune neveu, et Mazétulle, qui appartenait à une branche rivale. Tous deux étaient soutenus par Syphax et Hasdrubal, fils de  Giscon, père de Sophonisbe. Après bien des péripéties,  le prince vaincu se réfugie en Tripolitaine. Dépossédé de son royaume, il perdra sa fiancée, la merveilleuse Sophonisbe, que son père donnera en mariage à Syphax, par calcul politique.
Scipion débarqua en Afrique en 204. Il établit son camp non loin d’Utique. Hasdrubal et son gendre, à la tête de deux armées considérables, prirent position à une dizaine de km de là. Ne voulant pas les affronter en rase campagne, le Romain réussit à endormir la méfiance de Syphax et incendia  les  camps en pleine nuit, détruisant les deux armées. Ce désastre fut suivi d’une défaite à la bataille des Grandes Plaines (mi avril 203). Syphax fut battu et capturé au cours d’une autre rencontre, après quoi  Massinissa partit au grand galop en direction de Cirta, la deuxième capitale du malheureux roi (l’autre étant Siga). Il se précipite vers  le palais, rencontre Sophonisbe éplorée qui se jette à ses genoux. C’est le coup de foudre. Il épouse la jeune femme séance tenante pour assurer sa protection.
Mais le général romain ne l’entend pas de cette oreille. Il réprimande Massinissa et lui demande de lui remettre Sophonisbe qui appartient à Rome au même titre que Syphax, son royaume  et ses habitants.  Le prince numide s’abandonna au désespoir, puis se résolut à envoyer le poison à la jeune femme. Celle-ci prit la coupe et la vida courageusement.
Le lendemain, sur le front des troupes, Massinissa fut le premier cité : Scipion le salua du titre de roi pour la première fois, le couvrit d’éloges exceptionnels et lui remit les insignes royaux (juin 203).
Syphax, transféré en Italie,  mourut à Tibur, non loin de Rome, avant le triomphe de Scipion (en 201), selon Tite-Live ; d’après Polybe, il figura à ce triomphe suivant avec d’autres captifs enchaînés le char du « vainqueur de l’Afrique ». 
Croyant la guerre terminée, Massinissa repartit pour finir de récupérer son royaume et occuper les Etats de Syphax... Parti en automne 203, le roi fut rappelé un an plus tard, avant d’avoir commencé la conquête du royaume de Syphax.

Sur ordre du Sénat, Hannibal et son frère Magon quittent l’Italie pour défendre leur patrie menacée dans son existence. Magon succombe à ses blessures au cours de la traversée, Hannibal débarque près d’Hadrumète (Sousse), à la fin de l’été 203.
La bataille décisive eut lieu un jour d’octobre 202, près de Zama (actuelle Jama dans la région du Kef). Avant que l’infanterie d’Hannibal ait pu enfoncer le front romain surgissent Laelius et Massinissa, qui s’étaient lancés à la poursuite de la cavalerie punique. Ils assaillent sur leurs arrières les ennemis, qui sont presque tous massacrés sur place. Scipion infligea à Hannibal une terrible défaite, grâce à la résistance de l’infanterie et à l’intervention providentielle de  la cavalerie.

Le sénat de Carthage accepta, sans les discuter, les conditions du vainqueur : les Carthaginois conservaient les villes d’Afrique et le territoire qu’ils possédaient avant leur entrée en guerre (218 av. J.-C.). Carthage restait un Etat indépendant, mais totalement désarmé. Elle devait livrer tous ses bâtiments de guerre, sauf dix, tous les prisonniers (il y en avait quatre mille), tous les transfuges (déserteurs), tous ses éléphants. Il lui était interdit de faire la guerre sans l’accord de Rome ; elle devait rendre à Massinissa tout ce qui avait appartenu à lui ou à ses ancêtres, à l’intérieur des frontières qui seraient ultérieurement délimitées ; verser en cinquante ans une indemnité de dix mille talents ; livrer cent ou cent cinquante otages, selon les sources.
Massinissa fut récompensé : Publius Scipion lui fit don de Cirta et des villes masaesyles conquises par les Romains. Le roi numide rappelé d’urgence contre Hannibal n’avait pas eu le temps de conquérir le royaume de Syphax. C’est probablement à la fin de la guerre qu’il en entreprit la conquête. La guerre contre Carthage était terminée, mais Massinissa ne déposa pas les armes. Il possédait la Massylie, s’apprêtait à occuper la Masaesylie, le royaume de Syphax et se sentait déterminé à reprendre à Carthage les territoires ayant appartenu à ses aïeux. Rien de plus facile : le traité de paix l’y autorisait et interdisait à Carthage de se défendre par les armes.
Rentré à Rome, Scipion célébra le plus splendide des triomphes (en 201 avant J.-C.).  Il porta désormais le surnom d’« Africanus », « Vainqueur de l’Afrique », qui fut conservé dans sa famille.

Précision : ces événements ont eu lieu avant l’ère chrétienne.
Le récit de la seconde guerre punique par Tite-Live existe en traduction en livre de poche (voir ci-dessous III.)
Sources :
I.                   Polybe, Histoire, livres III, VIII, 3-7, 24-37, IX, 3-11a, 21-27, X, 1-20, 32-40, XI, 1-3, 19a-19, 20-33, XIV, 1- 10, XV, 1- 19, XXIII, 12-14, XXXI, 21, trad. D. Roussel, Paris, Quarto Gallimard, 2005, 1504 p.
II.                Tite-Live Histoire romaine, livres XXI-XXX (la seconde guerre punique), Paris, Les Belles lettres. Livres XXI (1988), XXIII (2001), XXIV (2005), XXVI (1991), XXVII (1998), XXVIII (1995) : texte établi et traduit par P. Jal ; livre XXV (1992), texte établi et traduit par F. Nicolet-Croizat ; livre XXIX (1994) texte établi et traduit par P. François.
III.             Histoire romaine, livres XXI à XXX (la seconde guerre punique),  trad. A. Flobert, 2 vol., Paris, GF Flammarion, 1993-1994.

























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